Avec l'accord de l'auteur. J'ai trouvé ça, réaliste dans le no man's land du futur motard.
Octobre 2050 - Le Mans - Ligérie Occidentale - Etats-Unis d'Europe
Les rhumatismes de Paulo le travaillent ce matin. Faut dire, il pleut sans
discontinuer depuis trois semaines, le thermomètre reste figé autour des
20°C. Comme tous les automnes, les grands fleuves occupent leur lit majeur, et on n'y construit plus depuis 30 ans, année du Déluge qui avait provoqué des milliers de morts sur le territoire de l'ancienne France.
Paulo jette un oeil sur le Rayomètre : niveau 2 sur l'échelle Areva-Thalès
qui en compte 6, seule la chemise plombée est obligatoire aujourd'hui. "Le
recentrage de la politique énergétique n'est pas possible sans sacrifices"
martelaient les dirigeants du gouvernement européen, coalition de tendance consuméro-populiste au pouvoir depuis les dernières élections par SMS de 2045.
A 75 ans, Paulo pourra bientôt prétendre à la retraite, mais son état de
santé est si dégradé qu'il se demande s'il pourra encore s'adonner à son
passe-temps favori, la mécanique. Enfin, aujourd'hui, c'est dimanche et il
rejoint son local. Le sifflement des trams et des DTCR (Dispositifs de
Transport en Communauté Réduite) ne parvient pas à couvrir le crépitement de la pluie. Paulo appose son pouce droit sur le pad et approche son oeil du détecteur biométrique. La cataracte qui le gagne petit à petit rend la reconnaissance aléatoire, mais finalement, la porte s'ouvre.
Elles sont là.
Ces quatres machines témoignent de l'âge d'or de ce que l'on appelait la
"moto". Les petits-enfants de Paulo en ont ras le kit BlueTooth de
l'entendre radoter sur l'époque du transport individuel, la liberté de
circulation, mais lui sait qu'il fut un temps où l'on pouvait se déplacer au
guidon de ces véhicules. Il se souvient même de l'odeur de gaz d'échappement qui émanait des moteurs. Il savait d'ailleurs différencier le cycle de fonctionnement rien qu'au bruit et à l'odeur d'un moteur. Aujourd'hui, ces mécanismes sont muets. Bien sûr, Paulo continue de les entretenir, de les faire tourner à la main, ou au kick. Parfois, il se laisse aller à les faire rouler en prise dans la rue en pente : la succession des compressions du piston émet ce ronflement caractéristique du moteur "à explosion".
Il se souvient même que ceux que l'on appelaient "motards" faisaient la moue simplement à l'idée d'une moto propulsée par un autre carburant que l'essence de pétrole. Il se souvient de discussions sans fin sur les "motos diesels" sur son groupe de discussion favori https://i2roo.motards.net. Dans les années 2020, l'activité du groupe avait connu une chute vertigineuse. Le choc pétrolier d'avril 2021 mit l'essence à un tel niveau de prix que seuls les plus riches pouvaient continuer à utiliser une moto. C'est aussi à ce moment-là que le gouvernement interdit les sports mécaniques, car les foules s'émurent d'un tel gaspillage d'énergie fossile. Les quelques membres restants de https://i2roo.motards.net, à la disparition du groupe, migrèrent sur fr.misc.energies-renouvelables, mais leur verbiage abscon causèrent leur éviction rapide.
Enfin, en 2035, les ressources pétrolières se tarirent tout à fait,
provoquant la crise mondiale que l'on sait.
Une dernière fois, Paulo vidangea le carter d'huile de son XS. Il y mettait
de l'huile de tournesol, les dérivés pétroliers étant à présent introuvables, et de toutes façons, aucun mélange ne s'était plus enflammé
dans la chambre de combustion depuis 2042. Paulo considéra un moment les quatre machines, les étagères garnies de vieux bidons d'huile "Polaroil" vides, les caisses remplies de pièces détachées aujourd'hui inutiles... Il déplaça les caisses les plus lourdes, puis dégagea de contre le mur un jerrycan de tôle datant de la Seconde Guerre Mondiale. Il ouvrit le bouchon qui émit un "pschitt" qui chatouilla sa mémoire. Il renifla longuement les effluves qui se dégageait du bidon. Malgré le vieillissement, il reconnut bien l'essence, du "sans-plomb 95", qu'il avait conservé là durant toutes ces années, pour une dernière balade la poignée dans le coin... Il savait aussi pertinement que le temps dégradait les propriétés détonantes du carburant, et qu'aucune de ses machines n'allait accepter de démarrer. Il le savait depuis longtemps. Il répandit alors le contenu du bidon sur le motos, sur les étagères, sur les murs et le sol, et craqua une allumette.
Le radio-réveil de Paulo n'eut le temps d'émèttre que deux tût-tût avant que Paulo n'abatte rageusement sa main dessus. Le flash d'info du16 octobre 2004 débutait par ces mots : "Nouveau record pour le baril de pétrole, qui a atteint 54 dollars à la bourse de New-York..."